Après 23 jours de voyage, nous sommes arrivés aux îles Lofoten au nord de la Norvège au-delà du cercle polaire.
Nous sommes accueillis chez Marinus, notre hôte pour les trois prochains jours. Hollandais d’origine, il s’est établi sur Vestvagoy, île principale des Lofoten, depuis 14 ans. Rapidement il nous a mis à l’aise et nous nous sommes sentis presque à la maison. Dans le bureau au 1er étage, nous prenons enfin une pause, chose impossible depuis le début de notre aventure. Allongée sur un matelas de fortune au milieu d’une impressionnante collection de vinyles et de vieilles cassettes audio, je prends le temps de respirer, moment propice pour repenser aux trois dernières semaines passées.
Pas besoin de tout raconter façon carnet de bord. Je préfère l’option morceaux choisis d’autant que le début de notre périple a pris des allures de tour organisé à la mode japonaise. Pour l’instant, il se résume assez facilement par de longs et interminables kilomètres d’asphalte, des arrêts réguliers dans les stations service et un atlas routier pour livre de chevet. Si on savait plus ou moins à quoi s’attendre, il était difficile de nous projeter au point de mesurer réellement la fatigue accumulée. Mais je ne vais pas m’attarder là-dessus, juste le préciser car je pense que c’est aussi ça le voyage, et essayer de me remémorer quelques instants clé, premières pages de notre histoire de voyage.
Bergen
Une nuit sur le ferry dans des sièges inclinables fut bien suffisante. Au petit matin, notre besoin de confort commença à se faire sentir. Nous avons vécu l’arrivée à Bergen un peu comme une douche froide au sens propre comme au figuré. Température ambiante 10°, pluie fine, et vent glacial ont failli me convaincre d’acheter un de ces bonnets ridicules sur le petit marché situé sur le port. Je ne suis pas sûre qu’une fois sortie de la Norvège, j’aurais osé porter à nouveau un couvre-chef en forme de tête de renne. Douche froide également parce que cet endroit ne faillit pas à sa réputation de pays le plus cher du monde. Pour donner une idée des prix : une nuit chez l’habitant dans la ville de Bergen 83€, un litre de sans plomb 1,84€, un timbre pour l’Europe 1,80€, une pinte de bière 9€… Malgré le camping sauvage et le couchsurfing, nous avons vite compris que notre budget quotidien de 70€ ne serait pas suffisant. On a traversé la Norvège pour le plaisir des yeux et heureusement, là encore, le pays ne faillit pas à sa réputation : les paysages sont à couper le souffle.
Malgré son climat froid et humide (minimum 275 jours de pluie par an), Bergen est une ville agréable. Après une visite du quartier de Bryggen, célèbre pour ses maisons de bois colorées, les touristes aiment à s’attarder sur le marché aux poissons. Evidemment, nous avons suivi le mouvement et goûté quelques produits du cru. Les vendeurs proposaient toutes sortes de poissons et crustacés : saumon fumé ou mariné, crevettes, crabe des neiges et steak de baleine. Sur fond d’idéaux écolos, nous avons été quelque peu choqués de voir sur les étals des morceaux de cet animal iconique. Si Michaël n’a pas souhaité y goûter pour des raisons éthiques, ma curiosité l’a emportée et je me suis laissé tenter par une fine lamelle crue qu’un vendeur m’a proposé sur la pointe de son couteau. Rien d’exceptionnel si ce n’est la consistance semblable à celle d’un carpaccio de bœuf ; le saumon était bien meilleur. Malgré tout, le « whale burger » semblait avoir du succès auprès des badauds, certainement par goût de l’exotisme. Nous sommes restés quelque peu perplexes devant ce spectacle. Notre opinion sur la Norvège commençait à en prendre un coup, d’autant que les habitants du coin ne nous semblaient pas particulièrement chaleureux.
Les Fjords
De Bergen, nous sommes partis pour la région des fjords où des montagnes aiguisées côtoient des bras de mer qui n’en finissent plus. Chaque virage nous réservait un décor incroyable. Le Geirangerfjorden et la route des trolls nous ont particulièrement marqués. Effectivement le décor vaut vraiment le détour. Les montagnes abruptes dessinent un paysage colérique adouci par le calme des vastes étendues d’eau. Nous avons goûté à nos premières nuits en camping sauvage et profité de réveils au milieu de la forêt ou au bord d’un fjord. Malgré le froid et l’agressivité des moustiques, nous n’avons pas regretté cette partie de notre aventure. A cette latitude et à cette période de l’année, le soleil ne se couche que très peu de temps et les nuits ressemblent plus à un 18 heures en été dans le sud de la France. Au début c’est plutôt excitant et surtout très pratique lorsque l’on fait du camping sauvage. Mais au fil des jours, nos nuits ont commencé à nous manquer terriblement. En hiver à l’inverse, le soleil ne se lève jamais vraiment du dernier week-end de novembre à la première semaine de février. Malgré un taux plus élevé de dépression en période hivernale, les gens du coin sont complètement adaptés à la situation. Nous ne nous sommes pas vraiment fait à ce mode de vie, et ici aux îles Lofoten, au-delà du cercle polaire, c’est l’apothéose : pas de nuit, même pas de pénombre, aucune obscurité. Je ne sais même plus quelle heure il est. Dehors il fait vraiment très jour.
Le couchsurfing
Nous sommes chez Marinus, et nous proposons à notre hôte de l’inviter à manger chez lui. Sympa le concept de couchsurfing. C’est l’occasion pour nous d’en apprendre un peu plus sur la culture norvégienne. Notre image du pays est assez partagée entre le charme des paysages et une population pas très accueillante aux idéaux plutôt nationalistes. Marinus nous a expliqué que les norvégiens n’étaient effectivement pas très chaleureux au premier abord, mais qu’ils restaient cependant très serviables et soucieux des autres en cas de difficultés (certains français ne sont pas si éloignés de ça). Ils ont un sentiment nationaliste fort mais qui selon lui est du à leur indépendance récente (début 20ème). Le coût de la vie est élevé car de nombreux produits sont surtaxés comme l’essence et ce malgré les ressources en pétrole. Enfin, la pêche à la baleine est très bien encadrée. Seule la pêche du petit rorqual est autorisée. Un agent du gouvernement est présent sur chaque baleinier pour assurer le respect des quotas de pêche. Et depuis l’entrée en vigueur de cette règlementation, la population du petit rorqual dans la mer de Norvège est en augmentation. Si nous comprenons un peu plus les grandes lignes de ce pays, il n’en reste pas moins que notre sentiment est assez mitigé. Difficile d’avoir régulièrement l’impression de ne pas être le bienvenu. Jusqu’au Danemark, les gens nous semblaient tellement souriants et chaleureux.
D’ici quelques jours, nous nous rendrons en Finlande via la Suède que nous ne ferons que traverser. Encore de nouvelles frontières, encore de nouveaux pays à visiter. Nous n’avons voyagé que quelques semaines et avons déjà vu tant de choses, appris tant de nouveautés. Et pourtant ça ne fait que commencer.
Je suis aux îles Lofoten, à Valberg sur Vestvagoy. Il fait jour, jamais nuit. Un peu comme si le temps s’était arrêté.